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Nous avons reçu cette semaine un abondant courrier des visiteurs de ce site, qui nous demandent notre opinion sur les conséquences que pourrait avoir le retrait du RDNP du Professeur François Leslie Manigat, de la Convergence Démocratique - la principale Organisation de l'opposition haïtienne au gouvernement Lavalas -, sur l'avenir de la démocratie dans le pays.
Pour déférer à votre demande, nous nous proposons de consacrer notre prochain article sur " l'Actualité Politique Haïtienne ", à cette question, laquelle semble préoccuper beaucoup de nos compatriotes. Non seulement à l'étranger, mais aussi en Haïti. En attendant, nous reproduisons ci-dessous à votre intention, le dernier éditorial de l'hebdomadaire « Haïti en Marche », qui explique, suivant sa propre perception, les raisons qui auraient conduit le RDNP du Professeur Leslie François Manigat, à se séparer de la Convergence Démocratique. |
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PORT-AU-PRINCE, 7 Avril - Vous avez dit idéologie ? Ce mot n'a-t-il pas disparu avec la chute du mur de Berlin !
Nulle part cela frappe davantage qu'en Haïti. Qui pouvait croire qu'un jour le marxiste militant Gérard Pierre-Charles s'assiérait dans une même coalition politique avec un ex-bras droit de Baby Doc, Prosper Avril, celui-ci qui plus est accusé de tortures sur la personne de militants de l'opposition à son régime militaire (1988-1990). Ou encore avec un Leslie Manigat dont les volées de bois vert idéologiques à l'encontre de secteurs seulement suspects de communisme ("Les petits pères de Sèl"), sont demeurées légendaires. Comme on le voit toujours, les élites font bloc face à un danger commun. C'était déjà le cas avec Acaau (mouvement paysan du Sud en révolte contre le système oligarchique et urbain ayant succédé au libérateur Jean-Jacques Dessalines). Et c'est un membre de la Convergence Démocratique qui avouait au correspondant du Miami Herald que le seul lien qui tient en place cette coalition, c'est la haine d'Aristide. "Quatre vingt quinze pour cent (95%) de l'énergie de la coalition, disait-il plus exactement, se consume dans la haine d'Aristide." Est-ce à dire que le clivage idéologique crée vraiment une différence ? Ou n'est-ce pas depuis toujours davantage une question de personne ou de ego, sinon de clique ? M. Manigat accepta le pouvoir des mains de l'armée après que celle-ci eut fait avorter dans le sang les élections de novembre 1987 sur le point d'être remportées par les mêmes secteurs qui composent aujourd'hui l'OPL, le KONAKOM, le KID, partis membres de la Convergence ... Ou les discussions interminables de ces derniers quand il fallait nommer un candidat aux présidentielles de décembre 1990. De guerre lasse et devant la nouvelle menace posée par le retour au pays du très remuant baron macoute Dr Roger Lafontant, on alla dénicher un jeune curé au fond du plus grand bidonville de la capitale, plus connu jusque là pour ses vibrants sermons anti-establishment et anti-impérialistes ... |
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Aristide est renversé du pouvoir 7 mois seulement après son investiture. Les militaires s'emparent du pouvoir sur une montagne de cadavres. Moment d'hésitation ("la nature a horreur du vide !", dira un des leaders actuels de la Convergence) ... Mais le morcellement, la tentation de l'atomisation ne disparaît pas pour autant ici devant le danger. René Théodore, autre haut responsable du parti communiste d'hier, se retrouve un temps sur le point d'être mandaté par les militaires pour négocier avec le président Aristide en exil à Washington ... Patatras. Michel François, le tout puissant chef de la police, y met son veto.
Dans le camp du président renversé, l'un des principaux stratèges de l'opération retour s'appelle Gérard Pierre-Charles. Retour à l'ordre constitutionnel 3 ans plus tard, en septembre 1994. Pierre-Charles est à la tête de l'Organisation Politique Lavalas (OPL) qui remporte la majorité aux législatives de 1995. Mais déjà rien ne va plus. Aristide fonde son propre parti Fanmi Lavalas. Lavalas versus Lavalas. Non, car entre-temps Pierre-Charles rebaptise sa formation : Organisation du Peuple en Lutte (OPL). Et c'est un nouveau chapitre qui s'ouvre aux législatives de mai 2000 remportées par le parti aristidien sous les accusations de fraudes de l'opposition secondée par la communauté internationale (Etats-Unis, Union européenne). Dès lors tout chavire. Ennemis jurés d'hier, unissez-vous ! Pour la petite histoire, c'est la branche internationale du parti républicain américain ou IRI qui aurait accompli ce tour de force sans précédent de réunir sous une même ombrelle les pires ennemis des dernières décennies d'histoire politique d'Haïti, quelque 15 partis et organisations, de la droite néo-duvaliériste au centre gauche. Est-ce que la menace Aristide faiblit ? Comme quoi dans un mouvement pendulaire bien connu sous nos cieux, la coalition de l'opposition qui ne tenait que par la haine de l'ennemi commun (sic) commence automatiquement à se lézarder. |
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Le premier coup de semonce tombe sous la forme d'une lettre ouverte du RDNP (Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes) de Leslie Manigat publiée dans la presse du mercredi 3 avril écoulé, et annonçant son retrait de la coalition.
Motifs invoqués : les errements du leadership de la Convergence Démocratique. Nous citons : "l'ambiguïté qui consiste à affirmer à la fois, publiquement et contradictoirement, d'un côté qu'Aristide avec son régime Lavalas doit partir incessamment grâce à une large mobilisation; et de l'autre côté, qu'on est d'accord pour reprendre, sous condition, les négociations en vue d'un compromis de partage du pouvoir actuel ...". Cependant, dans un autre texte publié quelques jours auparavant ("Méditations pascales : le RDNP et la conjoncture critique présente", Le Nouvelliste, lundi 1er Avril 2002), le secrétaire général du RDNP (démocrate chrétien) va plus loin, laissant percer une pointe du nationalisme que lui connaissent bien les lecteurs des ouvrages du professeur de sciences historico-politiques. Est-ce une authentique révolte d'un patricien devant la fuite de la souveraineté nationale qui n'est un secret pour personne, et à la veille de l'arrivée d'une nouvelle mission spéciale de l'Organisation des Etats Américains (OEA) à propos de laquelle certains reprochent au pouvoir (et indirectement aussi à la Convergence) d'avoir consenti à l'organisation hémisphérique un mandat aux relents de "mise sous tutelle" ? Ou est-ce plutôt pour camoufler les dépits personnels de M. Manigat de ne pas avoir bénéficié de tous les égards qu'il estime dus à son rang dans la coalition de l'opposition ? Toujours est-il que la lettre ouverte du RDNP a fait bouger l'actualité cette semaine, eu égard principalement aux réactions soulevées dans le reste de la coalition ... |
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La mise sous tutelle ne fait aucun doute, si l'on en croit l'analyse conjoncturelle de l'éminent professeur en sciences politiques et ex-président toujours en réserve de la république. "On a voulu mettre la tutelle avant toute chose, car c'est de la tutelle qu'on veut, avant de déterminer la solution de la crise politique interne haïtienne. (...) Un chèque en blanc (...). Les conditions concrètes, même déficientes, de la légalité en Haïti montrent que les mesures de l'OEA ne respectent pas les normes procédurales et législatives requises en la matière."
Dès lors, en conclusion : "Nous sommes donc amenés à nous conformer à notre ligne patriotique et respectueuse de la légalité en restant conséquents avec nous-mêmes aujourd'hui comme dans le passé." Comme on dit dans le langage vodou, le cheval Salomon de Manigat lui est monté ("chwal salomon maniga monte l"). Lysius Félicité Salomon, leader de l'élite noire, qui a dirigé le pays dans la décennie 1880, une époque qui vit sur la scène des éléments parmi les plus remarquables que notre histoire politique ait produits (Firmin, Louis Joseph Janvier, Boyer Bazelais, Edmond Paul, Frédéric Marcelin etc). Le président Salomon apparaît comme un modèle de nationalisme éclairé dans les ouvrages de l'historien Leslie Manigat. Le problème est que le nationalisme est la chose du monde la plus partagée en Haïti, à plus forte raison chez les politiciens. Papa Doc n'était pas moins nationaliste que le plus radical de ses adversaires. Alors quand on est tous nationaliste, qu'est-ce qui nous distingue ? D'autant plus au siècle de la mondialisation triomphante ... Ecoutons encore M. Manigat : "Le nationalisme est déjà en passe de tomber en désuétude, soit, mais le patriotisme est partout en hausse dans les pays développés comme à fortiori dans les pays sous-développés dépendants." En effet, le patriotisme américain flamboie après les attentats du 11 septembre, au même moment que celui des palestiniens sous la gueule des chars et missiles de Ariel Sharon. Mais Bush le voit-il ainsi ? Nous vous ferons grâce d'autres passages du texte du no.1 du RDNP du genre : "Il y a encore Dieu merci des gens de bien, des hommes de bonne volonté et compétents dans ce pays et dans la diaspora, et on serait étonné du nombre de ceux qui aiment encore cette petite patrie dans cet océan actuel de médiocrité ...". Pour finir, Manigat appelle à une "reconfiguration des forces vives et une recomposition du paysage politique" (...) afin de "préparer l'après-Aristide." Tout cela part sans doute d'un bon naturel, mais c'est aussi ce qui fait douter, observe Victor Benoît, que le secrétaire général du RDNP "ait aucunement les moyens de sa politique ... ". |
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Le nationalisme a peut-être été une expression idéologique du temps du président Salomon, mais ce n'est certainement plus le cas aujourd'hui et, comme le reconnaît Leslie Manigat lui-même, c'est une conception forcément en perte de vitesse avec la mondialisation et "le devoir d'ingérence" comme principe humanitaire de base. Or en dehors de cela, le professeur-leader politique nous laisse sur notre faim, n'était une réputation confirmée de droite éclairée illustrée peut-être dans ce texte par certains clins d'oeil aux bien-pensants.
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Mais qui ne marronne ... à l'exception d'un Benjamin Dupuy (PPN/Parti Populaire National) qui n'a, comme on dit, ni à vendre ni à acheter, c'est-à-dire pas de responsabilité collective majeure au plan politique et qui revient de temps à autre dans l'actualité politique plutôt comme un franc tireur. Ben Dupuy décrit lui aussi la Mission de l'OEA pour Renforcer la Démocratie comme une "mise sous tutelle" mais, selon lui, destinée à bloquer une situation avancée de lutte des classes, et cela avec la complicité aussi bien du pouvoir Lavalas que de l'opposition.
Mais arrivons à ces deux derniers. Lavalas ne peut s'empêcher de se réjouir de ce début d'éclatement de l'opposition, oubliant que cela ne l'arrangerait guère de ne pas avoir d'opposition, du moins dans le contexte que nous vivons, étant donné que la négociation avec son opposition est une condition sine qua non de l'international pour sortir de la crise. Evidemment, plus cette opposition serait faible, mieux ça vaut. Et vice versa. Mais au plan idéologique, c'est le néant total. Commentant le retrait du RDNP de la Convergence, le sénateur Lavalas Gérald Gilles conclut en substance : "notre force est que nous savons gérer nos divergences en famille sous le leadership de notre incontournable leader Jean-Bertrand Aristide." |
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Par contre, une importante confirmation est tombée du côté de l'opposition. Réagissant à l'événement, l'ex-sénateur (OPL) Paul Denis (Le Nouvelliste, jeudi 4 Avril 2002) "reconnaît que les partis à sensibilité sociale démocratique ont signé un accord de principe qui doit déboucher sur un grand parti socialiste." Il s'agit de l'OPL de Gérard Pierre-Charles, du Panpra de Serge Gilles, du Konakom de Victor Benoit et la Génération 2004 de Claude Roumain.
Le Nouvelliste croit percevoir "la transformation prochaine des principaux partis membres de la Convergence en deux grands partis politiques, dont l'un socialiste et l'autre démocrate chrétien." |
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Pierre-Charles, Gilles et Victor Benoît n'ont pas toujours appartenu au même camp, ni avant la chute de la dictature Duvalier ni après. Non seulement appartiennent-ils à des courants hier encore très antagoniques (les socialistes ayant toujours été vus par les communistes comme des ennemis pires que la droite elle-même), mais l'exiguïté dans tous les domaines du marché haïtien ne facilite pas la maîtrise des tentations tropicales à l'égocentrisme.
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Pierre-Charles, Gilles et Victor Benoît n'ont pas toujours appartenu au même camp, ni avant la chute de la dictature Duvalier ni après. Non seulement appartiennent-ils à des courants hier encore très antagoniques (les socialistes ayant toujours été vus par les communistes comme des ennemis pires que la droite elle-même), mais l'exiguïté dans tous les domaines du marché haïtien ne facilite pas la maîtrise des tentations tropicales à l'égocentrisme.
Quant au courant démocrate chrétien, les héritiers du pasteur Sylvio Claude ne sont certes pas en mesure de faire de l'ombre à l'éminent professeur qui dirige le RDNP ... sauf que ce dernier avait pour base le Venezuela du président Carlos Andres Perez et que celui-ci lui-même est non grata aujourd'hui dans son pays depuis l'accession du populaire ex-colonel qui avait tenté de le renverser Hugo Chavez. La soudaine levée de boucliers de M. Manigat contre l'OEA s'expliquerait-elle par ce que Victor Benoît perçoit comme un manque de "moyens politiques" ... Manigat a-t-il perdu pour les mêmes raisons la compétition au sein de la Convergence ? A la veille du round final que nous promet pour bientôt le Secrétaire général de l'OEA, Cesar Gaviria, donnant la bénédiction vendredi à la nouvelle mission sur le point de s'envoler pour Haïti, le champ de bataille va donc se retrouver un peu plus circonscrit. Comme quoi on prend pratiquement les mêmes et on recommence. Lavalas versus ex-Lavalas. Et d'un côté comme de l'autre, nul doute que le marronnage idéologique va continuer de plus belle, mondialisation oblige ... Peut-on espérer voir un jour prochain, qui sait, Ben Dupuy et Leslie Manigat dans une même coalition "nationaliste" ? Haïti en Marche, 7 Avril 2002 |
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Persistance de la crise politique Défis à affronter par Fanmi Lavalas Solutions envisagées par Aristide Evaluation des chances d’Aristide de réussir son pari |
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