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"Les "chimères" qui ne reçoivent plus d’argent du palais national ni des ministères, se sont ouvertement reconverties dans la criminalité de droit commun.
En Haïti, l’après-Aristide reste marqué par l’insécurité et par la misère

17 avril 2004           

Un peu plus de deux mois après le départ en exil de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, la population haïtienne, dont le lot quotidien ne fait qu’empirer, manifeste une impatience grandissante. "Nous ne recevons guère plus de 30 minutes d’électricité par jour", se plaint Lys Ambroise, un habitant de Port-au-Prince qui a bien du mal à faire fonctionner sa petite entreprise d’informatique.

Sur l’avenue John-Brown, au centre-ville, une escouade équipée de pelles et de brouettes rouillées ne sait trop comment s’attaquer aux ordures qui s’accumulent sur les trottoirs et qui obstruent une partie de la chaussée. La revalorisation de la gourde - la monnaie locale - par rapport au dollar n’a pas empêché les prix du riz, de l’huile et d’autres produits de première nécessité d’atteindre de nouveaux sommets. "Nous n’y pouvons rien : c’est la conséquence des pillages qui ont dévasté les entrepôts lors du départ d’Aristide", explique un commerçant.

L’insécurité demeure la grande préoccupation des Haïtiens. "On ne voit pas encore de politique de désarmement avec l’appui de la communauté internationale", déplore Micha Gaillard, un leader de l’opposition à M. Aristide qui apporte aujourd’hui un "appui critique et constructif" au gouvernement de transition. Les attaques à main armée, souvent en plein jour, et les enlèvements avec demande de rançon se multiplient.

"Les "chimères" -milices armées de l’ancien régime-, qui ne reçoivent plus d’argent du palais national ni des ministères, se sont ouvertement reconverties dans la criminalité de droit commun. De dangereux criminels évadés du pénitencier lors des troubles de janvier et de février, ainsi que d’anciens policiers, sont impliqués dans la vague de délinquance qui n’épargne pas les diplomates", raconte un ambassadeur européen.

"Il y a beaucoup de désenchantement. On espérait mieux, surtout en ce qui concerne la sécurité. On a l’impression que le gouvernement patauge dans une boue gluante", résume Rony Smarth, ancien premier ministre. "L’héritage est lourd, mais le gouvernement ne l’a pas bien expliqué. Pourquoi tarde-t-on tant à mettre Aristide en accusation, à placer ses biens sous scellés ?", s’interroge Hérold Jean-François, qui dirige la station Radio-Ibo.

Pas plus que les "chimères", les rebelles du Front du Nord, qui ont porté l’estocade finale au régime de Jean-Bertrand Aristide, n’ont remis leurs armes. Le nord d’Haïti, qui a servi de base à ce front hétéroclite composé de militaires démobilisés et d’anciens partisans déçus de M. Aristide, échappe toujours largement au contrôle du gouvernement. Leur leader, Guy Philippe, laisse planer le doute sur de futures ambitions politiques.

La présence de 3 500 soldats américains, français, canadiens et chiliens a mis fin aux violences politiques et aux pillages. Mais le mandat de cette force déployée dans l’urgence arrive à son terme fin mai. Elle doit être remplacée par 8 322 casques bleus de l’ONU, dont le principal contingent viendra du Brésil. A quelques semaines de son déploiement, on ignore toujours la composition exacte de cette nouvelle force internationale. Les pays francophones africains, comme le Sénégal ou le Bénin, sont sollicités.

"J’espère que, à partir du 1er juin, les troupes des Nations unies se montreront plus actives pour nous aider à désarmer, pour accompagner notre police dans cette tâche", souligne le premier ministre, Gérard Latortue, qui visite Bruxelles et Paris après s’être rendu à Washington. L’une de ses priorités est de renforcer la police, qui compte 2 500 hommes mal équipés et démotivés. Plus de 20 000 candidats se sont manifestés lorsque le ministre de la justice, Bernard Gousse, a annoncé une opération de recrutement de policiers. "On pourra utiliser rapidement d’anciens militaires démobilisés qui n’ont pas participé à des violations des droits de l’homme et qui n’ont pas été impliqués dans le trafic de stupéfiants", assure M. Latortue.

Si le gouvernement provisoire n’obtient pas rapidement des résultats tangibles sur le plan économique et en matière de sécurité, de nouvelles convulsions sont à craindre. Réfugié en Jamaïque, d’où il pourrait prochainement se rendre en Afrique du Sud, M. Aristide compte sur une victoire des démocrates aux Etats-Unis pour faciliter son retour en Haïti. Il a toujours l’appui d’une partie du "black caucus", le groupe parlementaire noir, qui a repris la thèse du "coup d’Etat" monté par l’administration Bush, dont l’ancien président affirme avoir été victime.

Le premier ministre affiche sa volonté de récupérer les biens publics qui auraient été spoliés par les dignitaires du régime déchu. "Quand il est arrivé au pouvoir en 1990, M. Aristide était un prêtre sans le sou. C’est aujourd’hui un des hommes les plus riches du pays. Nous voulons agir sans précipitation, dans le respect de la loi. Il faut rompre avec la tradition de vengeance ; ce sera à la justice de trancher", soutient M. Latortue.

En attendant, la Fanmi Lavalas ("Famille l’Avalanche"), le parti de l’ancien président, a refusé de nommer son représentant au conseil chargé d’organiser les prochaines élections, qui doivent aboutir à la prestation de serment d’un nouveau président le 7 février 2006. M. Latortue, qui a longuement négocié avec les responsables de ce parti, est convaincu que l’ordre en a été donné par M. Aristide, malgré le désir de ses lieutenants de participer aux élections. "Je leur ai donné un nouveau délai. S’ils refusent de participer, les élections se feront sans eux", tranche-t-il.

  Jean-Michel Caroit