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De Viviane Gauthier à Jean René Delsoin en passant par Lynn Williams Rouzier, on ressent la même ferveur pour la danse. « La danse c’est ma prière », déclare Jean René Delsoin ; Pour Lynn Williams Rouzier, « la danse c’est la vie » ; Et Viviane Gauthier de rectifier : « elle est ma vie ».
Ces trois chorégraphes tiennent des écoles de danses à Port-au-Prince. Et comme leurs pairs, entre autres, Nicole Lumarque, Jean Guy Saintus ou Régine Trouillot, ils s’emploient à transmettre leur art aux jeunes générations. A Port-au-Prince, on peut donc apprendre le ballet, le jazz, les danses latines, modernes ainsi que les danses traditionnelles, dites folkloriques.
Un riche patrimoine culturel
Professeur de danse à l’Ecole nationale des Arts, une institution publique de Port-au-Prince, Viviane Gauthier, 65 ans de carrière, dirige également une école de danse. Son choix : les danses traditionnelles.
D’origine africaine, les danses traditionnelles sont pratiquées en Haïti, principalement par les initiés au culte vodou, surtout en zone rurale. Plus rarement, on en rencontre des amateurs dans les villes.
Viviane Gauthier est la doyenne de la danse haïtienne et se plait volontiers à vanter la richesse des rites traditionnels : « le kongo, le nago, le petro, le rada », tous des rites hérités de l’Afrique. Elle explique qu’ « à chaque rite s’associe des loa (esprits) des chants et des danses ».
« Les danses traditionnelles, comme le souligne Mme Gauthier, permettent à l’Haïtien d’accepter ses origines, de se réconcilier avec lui-même ». Et comme pour l’illustrer, elle se plait à rapporter le témoignage « réconfortant » de ses élèves. « J’étais particulièrement contente quand une de mes élèves m’a confiée après une répétition ″maintenant je me sens vraie Viviane, je me sens moi-même″ ».
Elle compte parmi ses élèves des enfants de deux ans mais aussi des adultes de plus de 50 ans. Et c’est son « contact permanent » avec les jeunes qui l’aide à conserver un cœur et un esprit jeune en dépit de ses 90 ans.
Comme Viviane Gauthier, Lynn Williams Rouzier tient une école de danse qui porte son nom à Pétion-ville, banlieue est de Port-au-Prince. Et comme toutes les écoles de danses, Lynn Williams Rouzier a une compagnie de danseurs et danseuses professionnels ainsi que des classes pour amateurs répartis par groupes d’âges différents. Outre les danses traditionnelles, elle enseigne le ballet.
Le lundi 17 février, aux environs de 16 heures, les ballerines en collant, bas, tutus et chaussons de danse, raffinent leurs mouvements à la barre entourant la salle de danse. Elles apprécient leurs gestes dans des miroirs recouvrant le mur frontal de la pièce.
Les cheveux ramassés en chignon, le menton bien droit, le buste relevé, les danseuses s’exécutent sur fond de musiques classiques. Le frou-frou des tutus accompagnent les mouvements de flexion commandés par la voix de Marynn, la fille de Lynn Rouzier, également danseuse professionnelle : pliez, pointez, première…
Une fois dépouillé de leur apparence européenne, les jeunes danseuses amorcent de nouveaux pas de danses plus rapides et plus énergiques au son des tambours joués par des musiciens sur place. Une nouvelle atmosphère s’installe brusquement dans la pièce et les visages s’éclairent de sourire radieux.
Véritable exutoire, les écoles de danse accueillent non seulement les amateurs de danse mais aussi des personnes qui y viennent à des fins thérapeutiques, « pour corriger une malformation », de l’avis de Mme Gauthier.
Difficile existence
Les écoles de danses n’ont pas toujours l’existence facile à Port-au-Prince. Aussi, en dépit d’« une certaine évolution des mentalités », ce patrimoine culturel est-il toujours entouré de « tabous », « clichés » en butte à son expansion, déplore Mme Gauthier.
De plus, ces établissements sont « toujours à la recherche de mécènes » pour assurer la production des spectacles. Et l’appui financier sporadique d’un mécène, d’une institution commerciale ou publique est toujours accueilli comme une bouée de sauvetage, permettant de garder la tête hors de l’eau.
C’est le cas de la compagnie Jean René Delsoin, une des troupes les plus emblématiques de la danse moderne haïtienne. Ses danseurs font partie de la troupe Haïti en scène qui présenteront la version haïtienne de Starmania à la fin du mois au Canada.
« C’est un perpétuel combat », décrit Jean René Delsoin. « A chaque saison de danse qui s’approche vous vous posez les mêmes questions : qu’est-ce que vous allez trouver en terme de support financier, ce n’est jamais gagné d’avance, c’est toujours difficile »
A l’instar de Lynn Williams Rouzier et Viviane Gauthier, Jean-René Delsoin croit que «pour qu’on puisse voir Haïti différemment ailleurs, il faut passer impérativement par la culture».
Créer à travers la folie, ne pas céder aux solutions faciles ; éviter de verser dans la médiocrité en dépit des conditions de productions difficiles. S’efforcer de garder un standard international de qualité, c’est le leitmotiv de ce danseur-chorégraphe passionné et des chorégraphes de son école, comme Louis Lahens qui enseigne le folklore. Mais c’est aussi le défi quotidien des écoles de danses à Port-au-Prince.
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