Femmes d'Haïti
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Rose-Marie Desruisseau


1933 - 1988

Une longue et inlassable quête, un parcours sans répit dans l'indéfinissable: tel veut se laisser voir le court passage de Rose-Marie Desruisseau dans la peinture haïtienne. Elle a peint avec acharnement toute sa vie et le public, pour la majorité non averti, qui s'est émerveillé à ses multiples vernissages, n'aura le loisir de la toucher de plus près qu'à l'occasion de l'exposition posthume à Paris de son œuvre historique en commémoration du cinq-centième anniversaire de la découverte d'Haïti par Christophe Colomb.

Un de nos rares peintres à bénéficier d'une monographie(1), Rose-Marie, qui a grandi à Diquini parmi des gens modestes, dut, nous dit-on braver «les résistances de son milieu et l'opposition de ses parents», pour entrer à 15 ans au Centre d'Art où elle travaille le dessin avec Lucien Price. Elle abandonnera après deux ans(2), court répit alors d'une course bientôt reprise puisque huit ans après, elle laissera tomber son emploi à la fonction publique pour se lancer, appelée par une vocation certaine, dans cette grande tourmente picturale qui ne la lâchera plus et ce, même dans ces pires moments d'essouflement et de déprime que connaîtra sa vie.

Insatiable, elle compte à partir de 1959, de tous les mouvements et floraisons que connaît la peinture haïtienne d'alors et fréquente avec fruit l'expérience et les acquis des principaux peintres du pays. Parallèlement à des études intensives d'abord à l'Académie des Beaux-Arts de Port-au-Prince sous la direction d'Amerigo Montagutelli et de Géo Remponeau puis à l'Atelier de Pétion Savain, on la retrouve au Foyer des Arts Plastiques et à la galerie Calfou; en 1960, elle est à Brochette aux côtés de Luckner Lazard, Dieudonné Cédor, Denis Émile, Néhemy Jean, Tiga et Antonio Joseph. Sans doute, se cherche-t-elle encore une difficile voie, se crée-t-elle une envergure, mais déjà ne laisse de transpirer sous une touche qui s'affirme, cette sensualité, manière toute à elle « dans toute une série de toiles qu'elle consacre à la femme, (de rejeter) les rôles traditionnellement définis: ceux de l'homme dominateur et de la femme objet.» (3)

L'exposition consacrée aux onze femmes peintres en 1963 et inaugurant la naissance du groupe «Les jeunes peintres» découvre une Rose-Marie maîtresse d'elle-même et résolument prête pour les grandes entreprises. Abandonnant alors délibérément toutes les écoles, seule, patiente et obstinée, elle entreprend l'aventure d'une écriture personnelle de l'histoire d'Haïti. Elle plonge dans l'Ethnologie et l'Histoire avec l'aide de Gerson Alexis et de Jean Fouchard; elle se laisse impressionner par Maillol qu'elle découvre à Paris, rencontre à New-York un peintre américain qui travaille sur le vaudou antillais, redécouvre Enguerrand Gourgue, Hector Hyppolite... Autant de recherches et de fructueux contacts au bout desquels s'amorcera une compréhension plus pénétrante du monde insoupçonné du vaudou et dont les linéaments ne laisseront d'être bénéfiques à une œuvre maîtresse, prévue de longue haleine (30 ans), univers où, en dépit d'un cancer (entretemps découvert) et qui la mine, elle ne laissera ces étonnantes et incessantes incursions qui, elle l'avoue deux ans avant sa mort, la possèdent et l'épuisent: «je me sens comme une misérable petite femme devant cette grande page d'histoire.» (4)

On a peine à croire qu'elle n'aurait réellement jamais cessé de vivre la mort qu'elle voyait déjà arriver «comme un songe»? Rien ne l'arrête : elle fréquente l'Atelier-Institut de Néhémy Jean (71-72); elle prépare en 5 ans son exposition «Autour du Poteau Mitan» (1973), elle rejoint les enseignants de l'Académie des Beaux-Arts (1977) et est présente à la création en 1983 de l'École Nationale des Arts..., sans compter évidemment ce legs assidu et monumental à l'histoire d'Haïti: 34 tableaux en 15 ans. Puis elle s'arrête, le 1er janvier 1988. Elle n'avait que 55 ans.

Marie-Rose Desruisseau est, à date, le seul peintre haïtien à avoir entrepris la tâche ardue de relater l'histoire d'Haïti à travers la peinture» (5) et la première femme peintre à avoir également, et en dehors du courant primitif intégré le vodou dans son œuvre. «Personne mieux qu'elle n'a pu nous introduire dans le sanctuaire du Vaudou pour interpréter le «silence de la nuit» (...) par son œuvre, sa palette, d'un monde de ténèbres a jailli la lumière». (6) En fuyant cette voie royale du folklorisme, qui, étant donné cet intérêt renouvelé pour notre culture, n'a pu que multiplier ses tentatives de s'imposer à elle, Rose-Marie Desruisseau s'est trouvé son «propre espoir», sa propre vérité de l'Histoire et sur le sentier qu'elle a si douloureusement tracé se retrouvent peut-être les couleurs et les formes de notre vrai retour sur nous-mêmes.

Expositions:

Individuelles: 10 de 1965 à 1991 en Haïti et à l'étranger.

En collectif: 29 de 1960 à 1991 Haïti et étranger (Sénégal, Caracas, Santo-Domingo, Etats-Unis, Canada, Martinique, Suisse.)

Décoration et prix:

1976: Prix Jacques Roumain de la Galerie Nader pour sa toile Délivrance.

1988: Honneur et Mérite au grade d'Officier, distinction décerné à titre posthume par le président Lesly Manigat.

(1) Cette monographie, La Rencontre des Trois Mondes, a été éditée par les Editions Henri-Deschamps pour la présentation des Œuvres de Rose-Marie Desruisseau à l'exposition sus-citée. Un document vidéo du même titre a été également préparé pour la circonstance.

(2) Etait-elle alors trop jeune pour qu'il en reste une trace déterminante? R-M. Desruisseau ne s'en réclamera pas plus tard. Haïti et ses peintres, Tome II, Michel Phillipe Lerebours, p372.

(3) Gérald Alexis, dans La Rencontre des Trois Mondes, op.cit p11)

(4) Interview à Haïti libérée, Propos receuillis par Roosevelt Jean-Francois, 24 juillet 1986.

(5) Marie Alice Théard à Haïti Littéraire et artistique (no 3, mai juin 87)

(6) Michel Lamartinière Honorat cité par Alexis, op.cit.

Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI

www.haiticulture.ch, 2005