Femmes d'Haïti

Mona Guérin


1934

Devant son étonnant parcours dans le monde du théâtre et de l'animation radiophoniques, une question se forme toujours, irrépressible et imposante : Pourquoi un tel attachement au nom de Mona Guérin? Question intéressante, dirait-on, mais dont ne trahissent pas moins le caractère superflu, la rencontre de ses yeux tout de malice à l'abri d'épaisses lunettes d'écaille, l'emprise de cette bonhommie qui tout entière l'habite et qui, à tout instant semble se contracter dans ce sourire enjoué sillonnant les moindres replis de son visage.

On aurait voulu s'étendre sur l'éducatrice assidue qu'elle a été, mais en dépit de ses quinze années d'enseignement, son curriculum vitae inscrit à la rubrique profession — et cela se comprend : écrivain. A nos jours, Mona Guérin est en effet, l'écrivain femme, l'écrivain haïtien devrait-on dire, dont la présence dans nos lettres est, sans aucun doute, la plus constante. Très tôt, elle s'est intéressée à l'écriture et dans une quête proche du goût de l'époque, se laissera aller dans son adolescence «à commettre des vers» qu'à 24 ans, sur l'insistance de son entourage, elle publie dans un recueil intitulé Sur les vieux thèmes, péché de jeunesse, confie-t-elle, qui ne l'a plus tentée par la suite. En 1959, année où elle obtient cette bourse du Conseil des Arts du Canada offerte à l'Amérique latine lui permettant de suivre un cours de littérature contemporaine à l'Université d'Ottawa, un déclic semble s'opérer car c'est à partir de ces années que se mettant gaiement à l'écoute de cette multitude de voix ne laissant d'être un dialogue assidu et tentant en elle, elle entreprendra son long voyage dans le monde de l'écriture théâtrale, voyage qui nous gratifie de cette foisonnante production de pièces «à thèse», photographie du quotidien bourgeois haïtien, appréciées à mesure par le public, certaines dans des mises en scène de sa sœur Gladys Wagner et d'Alexandre Abellard.

«J'ai toujours écrit et j'écris tous les jours». On a peine à le croire mais de 1965 à 1980, Mona Guérin réussit le miracle, pour ainsi dire, de se partager entre sa vie familiale, son poste d'institutrice à l'institution primaire Au Galop, son œuvre théâtrale, et de trouver de surcroît le temps d'être d'une notable présence tant à la radio (dans des émissions de toutes sortes) à la télévision (pour des sketches) que dans nos quotidiens (pour des chroniques régulières).

Mais sa vraie passion, c'est le théâtre, «le dialogue» préfère-t-elle dire, et cette passion culminera dans une entreprise qui, pour lui avoir été en quelque sorte imposée à ses débuts, n'a pas fait moins que de l'ouvrir à un public considérable. On est en 1982 quand sur l'instante demande de Micheline Widmaier, alors directrice de Radio Métropole, Mona Guérin, quoique intérieurement soulevée par la perspective de ce nouveau défi, accepte à contre-cœur, la commande d'une pièce à épisodes à diffuser sur les ondes. On le devine aisément, naissait alors Roye les Voilà, premier feuilleton radiophonique haïtien, entièrement conçu, écrit et mis en scène par notre protagoniste. Diffusé au rythme de trois épisodes par semaine, écrits et produits à mesure, ce feuilleton est prévu pour une durée de trois mois mais il n'était pas sorti qu'il n'appartenait plus à son auteur qui, d'épuisement et de guerre lasse, n'arrivera à le clore que douze ans plus tard, en août 1994.

Pendant douze ans donc, avec une ponctualité inégalée, Mona Guérin crée et installe dans un nombre impressionnant de foyers haïtiens, 150 personnages, d'un réalisme plus coloré et crédible les uns que les autres, interprétés par près de 25 acteurs assidus dont ses deux filles (Elisabeth et Christina), Gérald et Marie Pia Alexis, Frédéric Surpris, Daniel Marcelin..., adorés, jugés, rejetés par un public qui ne demande pas mieux que le privilège de leurs déboires et exultation. Et pour qui n'avait accordé aux épisodes de ce feuilleton qu'une écoute distraite ou absente, bien vivants demeurent aujourd'hui encore des personnages tels Patrick et Annie, Grand'mère Mérien, Oscar et Tante Marguerite.

Aujourd'hui, avec cette discipline quotidienne jamais rompue et en défaut, Mona Guérin poursuit une œuvre qu'elle a toujours souhaitée éducative par la mise en relief des menus faits de notre quotidien dans une émission hebdomadaire bilingue Comment vivons-nous?, dans sa version créole An n gade ki jan n ap viv sur les ondes de Magik Stéréo.

Œuvres et productions:

1958: Sur les vieux thèmes, poésie

1961-1965: Le Coin de Cécile, chronique hebdomadaire publiée dans Le Nouvelliste

1966: L'Oiseau de ces dames, théâtre

1969: Les Cinq Chéris, théâtre

1971: La Pieuvre, théâtre

1973: Chambre 26, théâtre

1972-1982: Animation sur Radio Métropole de trois émissions dominicales: Ces dames gardent la ligne, Variations sur un mot, Jakotte et Monica.

1974: Sylvia, théâtre

1976: La Pension Vacher, théâtre

1977-1981: Ecrit pour Télé-Haïti les 150 sketches de l'émission Gala de Galerie.

1980: Mi-figue mi-raisin, nouvelles, volume I

1989: Mi-figue mi-raisin, nouvelles, volume II

1982-1994: Roye! les voilà, feuilleton radiophonique en 959 épisodes diffusé sur Radio Métropole puis sur Magik Stéréo.

1992-1994: Animation sur Magik Stéréo de l'émission spirituelle dominicale Dieu à tout moment

1995: Animation sur Magik Stéréo de l'émission éducative hebdomadaire bilingue Comment vivons-nous? / An n gade ki jan n ap viv

Distinctions:

1983: Palmes académiques du gouvernement français au grade de chevalier.

1974-1980: Sociétaire de l'Association des écrivains de langue française

1975-1986: Membre du Jury du Prix littéraire Henry-Deschamps (Port-au-Prince - Haïti)

1990\1991: Membre du Jury international au Vème Festival de la Francophonie (Evry - France)

* Basé sur notre entrevue avec Mona Guérin (septembre 1995)

Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI

www.haiticulture.ch, 2005