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Haïti, l’un des pays les plus pauvres de la planète, n’en est pas moins riche d’un vrai trésor d’objets de culte afro-caribéens. Ici, le vaudou est religion d’Etat et ciment de la société.
Le trésor vaudou d'une Suissesse d'Haïti

6 octobre 2004 

A Port-au-Prince, une Suissesse s’emploie à conserver ces objets précieux dans le pays.

Marianne Lehmann n’est jamais seule. Cette ancienne employée du consulat de Suisse à Port-au-Prince vit entourée de deux bonnes douzaines de chats, de ses domestiques et d’un précieux trésor d’objets d’art et de culte vaudou.

Dans les années cinquante, elle travaille dans un laboratoire de chimie à Lausanne. C’est là qu’elle fait la connaissance d’un étudiant haïtien. Leur amour se déclare et, en 1957, la jeune femme part s’installer avec lui dans les Caraïbes.

C’est l’année où le destin du pays bascule. «Le voyage depuis la Suisse jusqu’à Port-au-Prince durait 19 heures, se souvient Marianne Lehmann. Et nous sommes arrivés en plein milieu du combat politique qui, en octobre, amena François Duvalier au pouvoir».

«Malicieuse, mais pas méchante»

Le clan des beaux-parents de Marianne est dans le camp des partisans du nouvel homme fort du pays.

Dans les premiers temps, tout va bien, le sucre, le café et le sisal (sorte d’agave dont les fibres servent à produire cordes et tapis) d’Haïti voient leurs prix grimper sur le marché mondial.

A l’époque, personne ne peut imaginer ce que le pays deviendra sous le règne de Duvalier junior, supportant un lourd héritage qui va hypothéquer son avenir pour des décennies.

Quant à Marianne Lehmann, qui s’est toujours intéressée à l’histoire, sa passion future va se déclencher sur le pas de sa porte, grâce à une simple visite.

Un inconnu se présente devant sa maison. Sur son dos, il porte un sac de jute soigneusement fermé. «J’ai quelque chose de spécial pour vous, Madame», dit l’homme avant de sortir du sac une statue de pierre peinte de toutes les couleurs.

«Elle avait l’air malicieuse, mais pas méchante. Je n’ai pas eu peur et je me suis sentie envoûtée par la magie de ce moment», se souvient Marianne Lehmann.

La première pierre

L’inconnu veut, doit même vendre cette statue. Sa mère souffre d’un cancer du poumon et la famille a besoin d’argent. Marianne hésite. Acheter ou ne pas acheter?

L’homme insiste. Si elle ne se décide pas, il ne lui restera plus qu’à aller vendre sa statue à un touriste de l’Hôtel Oloffson. Marianne veut absolument éviter de voir cet objet de culte chargé de mystère partir à l’étranger. Elle discute le prix et finit par céder.

C’est ainsi que démarre ce qui deviendra la plus grande collection contemporaine au monde d’objets de culte et de cérémonies vaudou.

A l’époque Marianne Lehmann travaille dans l’industrie chimique en Haïti. Elle n’y reste que quelques années et finit par quitter son métier pour s’occuper de l’éducation de ses quatre enfants.

En 1972, son mari est nommé ministre du commerce, mais le couple se sépare peu après. En 1975, Marianne reprend donc du service, cette fois au Consulat général de Suisse de Port-au-Prince.

«La ville était dangereuse à cette époque, se souvient-elle. Il y avait tout le temps des exactions policières et des gens qui disparaissaient. Mais le régime Duvalier respectait tout de même les missions diplomatiques».

La maison aux centaines d’esprits

La nouvelle qu’une femme blanche achète des objets de culte afro-haïtiens se répand comme une traînée de poudre sur la scène vaudoue de la capitale.

«Au début, je ne savais encore pas grand chose du contexte et de la signification de cette religion, admet Marianne. Mais je me doutais bien qu’il s’agissait d’une croyance profondément ancrée dans l’esprit des gens».

Et au fil des décennies, ce sont des centaines d’objets vaudous qui s’accumulent dans la maison de Madame Lehmann. Au point qu’elle est aujourd’hui remplie de figures de culte exotiques, de statuettes à sept têtes, à trois yeux ou à cornes, de miroirs monumentaux richement ornés et de figurines d’étoffe mystérieuses.

Les traditions se perdent

Parmi ces objets précieux trône évidemment la figure d’Erzulie, la grande déesse dont les avatars épuisent tous les aspects de la féminité, bienveillante et malveillante à la fois.

C’est un vrai connaisseur qui a apporté cette statue à Marianne, un beau matin. Avec elle, un certificat attestant que l’objet, vieux de plusieurs siècles, a été apporté du Dahomey sur un bateau chargé d’esclaves.

Pourquoi les prêtres vaudous vendent-ils ces trésors? «Il y a à cela des raisons économiques, sociales et religieuses», estime Marianne Lehmann.

Quand par exemple une mère de famille rejoint une secte chrétienne fondamentaliste, c’est tout le clan qui se trouve mis sous pression. Le vaudou a beau être religion d’Etat en Haïti, les groupes évangéliques ne cachent pas leur hostilité envers ces croyances venues d’Afrique.

«De plus en plus de jeunes Haïtiens refusent l’initiation ou s’en désintéressent. Ou alors, ils partent à l’étranger pour y gagner leur vie, poursuit Marianne. Et ainsi, la tradition se perd».

Un trésor à montrer

La collection vaudou de Madame Lehmann aspire à la lumière, pas à l’obscurité. «Nous avons déjà réussi à monter une grande exposition en République Dominicaine voisine», se réjouit Marianne, qui continue néanmoins à chercher une solution pour exposer durablement ces objets uniques.

«Cette collection a besoin d’un musée, plaide la Suissesse. Afin que ces pièces de haute valeur puissent rester en Haïti pour les générations futures».

swissinfo, Erwin Dettling à Port-au-Prince

(Traduction et adaptation, Marc-André Miserez)