Femmes d'Haïti

Madeleine Sylvain-Bouchereau


1903 - 1970

« Nous avons foi dans le succès. Qu'importe qu'il soit long à venir, qu'importe qu'il brille seulement pour ceux qui nous suivront, pourvu que nous ayions contribué à instaurer la justice et la démocratie dans notre pays»

(M. Sylvain-Bouchereau répond aux constituants de 1946)

Il est difficile de se la représenter autrement que participant fiévreusement à une réunion, mettant la dernière main à un projet de loi ou une pétition, préparant un ultime plan d'attaque ou, à coup d'arguments tirés d'une conviction à toute épreuve, s'efforçant habilement, emportée par les soucis de rayonnement et de vitalité d'une cause, de ramener une adepte éventuelle sur les sentiers, à l'époque rocailleux, du féminisme. Commencer la présentation d'une telle femme ainsi, par son activisme, ne va pas toujours sans risque mais on ne sait pas toujours, de l'intellectuelle, de la politique, de la femme de terrain, que l'on a vue, tour à tour et même simultanément, se distinguer, laquelle mettre en avant pour donner la vraie mesure de cette battante que fut Madeleine Sylvain-Bouchereau.

D'un père (Georges Sylvain) et d'une mère (Eugénie Malbranche), dont le dynamisme et la présence se révéleront d'un apport non négligeable dans la vie intellectuelle et socio-politique haïtienne de ce début de siècle, et notamment dans la lutte contre les forces d'occupation, Madeleine Sylvain a dû, très jeune sans doute, se voir inculquer, poussé à une rare ténacité, ce goût aussi bien des études que de l'action qui, la retrouveront, en Haïti et à l'étranger, passionnément impliquée dans les domaines aussi riches et divers que sont l'éducation, l'assistance sociale, l'animation communautaire et, bien sûr, les droits de la femme.

En 1926, bien qu'âgée de 22 ans, son nom ne figure pas moins comme membre fondatrice et vice-présidente des Pupilles de Saint-Antoine, une des premières œuvres haïtiennes d'entraide sociale, et en 1935, elle portera déjà à son actif, l'introduction en Haïti du mouvement des Guides dont le développement et l'organisation seront pris en main par Mme René Durocher (directrice/ chef-guide), Mme Paul Cassagnol, Melles Valentine Charlier et Jeanne Durocher. Mais son entrée houleuse pour ainsi dire dans l'arène des revendications remonte à 1934, quand, sentant se faire jour chez les femmes ce besoin de plus en plus accru d'une participation plus active et reconnue à la politique de leur pays, elle se met en frais de rallier une énergie jusque-là disséminée et, avec la fondation de la Ligue féminine d'action sociale, inaugure les premières luttes qui verront, pour la première fois en Haïti, brandi haut et clair l'étendard féministe. Se découvrira alors en Madeleine Sylvain une animatrice nourrie d'un exceptionnel sens de l'organisation et des relations humaines et, à l'occasion, capable, de surcroît, d'une compréhension pénétrante des contingences du monde mouvant de la politique. Et ce mouvement, autour duquel, en peu de temps, finira par graviter tout ce qui pouvait se compter alors de femmes tant soit peu actives de l'époque, semblera s'imposer avant même les premières grandes foulées décisives et notoires.

Cheville ouvrière sans conteste du mouvement, Madeleine Sylvain-Bouchereau ne contribuera pas pour peu jusqu'à son départ d'Haïti en 1958, à marquer d'une empreinte profonde chacune des étapes des 25 ans de cette Ligue, par son envergure autant que par ses retombées, la plus grande organisation féminine haïtienne à date. Elle est tout à la fois, aux côtés de ses collègues à la planification et à la coordination des campagnes de sensibilisation et d'éducation civique, à signer les pétitions, à la revue de la Ligue et à la préparation des propositions d'amélioration du statut de la femme dans le Code civil; elle fonde le Foyer Alice-Garoute pour la formation des jeunes filles rurales et prépare des tournées de conférences à travers le pays. Et, quand la Constitution de 1950 et la loi du 25 janvier 1957 auront confirmé la jouissance des droits civils et politiques de l'Haïtienne, ce sera encore elle la première femme, en 1957, à entrer en lice aux courses sénatoriales du département de l'Ouest.

A Madeleine Sylvain-Bouchereau qui, en dépit de ces astreignantes occupations, semble s'être aménagée, un espace propre de recherche et de réflexion, nous devons également la publication des premières études théoriques et documentées sur le rôle joué par la femme dans notre histoire ainsi que de judicieuses analyses sur sa situation et son évolution dans la société haïtienne. Et pas moins étonnante ne se revélera une vie professionnelle tout aussi dense et fructueuse:

En 1941, on la retrouve professeur d'abord à l'Institut d'Ethnologie, puis à partir de 1945 à l'Ecole nationale d'Agriculture et à l'université de Fisk.

En 1944, «Principal welfare officer» pour les Nations-Unies, elle est chargée de l'organisation des services sociaux dans cinq camps de prisonniers polonais déportés en Allemagne.

Elle siégera à la Commission de statut de la femme aux Nations-Unies à New-York en 1951 et en 1952, année où l'Assemblée générale adoptera la Convention sur les droits politiques de la femme, premier document juridique international affirmant l'égalité des droits politiques, y compris le droit de voter.

De 1952 à 1956, elle est membre du comité pour l'organisation des cours d'été de la Ligue internationale des Femmes pour la paix et la liberté, co-directrice des cours de Copenhague et de Hambourg.

En 1958, sous les auspices de la Ligue internationale des femmes, elle mènera une enquête dans les pays du Moyen-Orient sur les conflits dans cette région. Elle est vice-présidente de la Ligue internationale des femmes avocates.

De 1966 à 1968, elle sera conseillère pour le développement communautaire auprès du gouvernement du Togo.

Madeleine Sylvain-Bouchereau meurt à New-York en 1970.

Publications:

- L'Education des femmes en Haïti, Port-au-Prince, 1944 (Prix Suzan B. Anthony de la Byrn Mawr College, Pennsylvanie).

- Les Droits des femmes et la nouvelle Constitution, Port-au-Prince, 1946, dans La Femme haïtienne répond aux attaques formulées contre elle à l'Assemblée constituante

- La Classe moyenne en Haïti, dans Matériaux pour l'étude de la classe moyenne en Amérique Latine, (Publications du Département des Sciences sociales, Union panaméricaine, Washington, D.C., 1950.)

- Haïti et ses femmes, Port-au-Prince, 1941

- La Famille Renaud, 2 vol. (manuels scolaires de lecture)

- Bulletin pour les instituteurs ruraux.

- Haïti, portrait d'un pays libre (édité en allemand), 1954.

Parcours académique de Madeleine Sylvain-Bouchereau:

- Licence à la Faculté de droit de Port-au-Prince (1930 - 1933)

- Etudes en Education et en sociologie à l'Université de Puerto-Rico (1936 - 1938) et à Bryn Mawr College aux Etats-Unis (1940 - 1941).

- Obtention sur concours d'une bourse offerte par l'Association internationale des femmes universitaires aux jeunes filles d'Amérique latine;

- Maîtrise en éducation et certificat de spécialiste en organisation des communautés rurales.

- Doctorat en sociologie.

Elle demeure, sans doute, la seule femme de sa génération à faire montre d'une formation académique aussi soignée.

* Sources:

Entrevue de Myriam Sylvain Torchon

Madeleine Sylvain-Bouchereau, Haïti et ses femmes

Publications diverses de la Ligue féminine d'action sociale.

Archives de la famille Sylvain.

Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI

www.haiticulture.ch, 2005